ANI-ROSE DESCHATELETS
Le Droit
Manuela Teixeira attend avec impatience depuis décembre dernier que 11 travailleurs étrangers viennent prêter main-forte dans les commerces du Square Old Chelsea, dont elle est la présidente-directrice générale. Mais Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada peine à subvenir à la demande et les délais du traitement des dossiers de ses futurs employés se voient sans cesse être repoussés.
«De ces onze travailleurs-là, on nous dit qu’il y en a trois qui ont fait les tests psychométriques. Donc ils devraient arriver incessamment. Mais ça fait quand même plusieurs fois qu'on nous dit qu'ils devraient arriver incessamment, et on est rendus le 16 août», a expliqué Mme Texeira au Droit.
Recevoir l’aide de travailleurs étrangers est une pratique commune auprès des entreprises, indique-t-elle, qui peine à combler leurs rangs avec la main-d'œuvre locale. «Ce que moi j'entends comme réponse aux délais, c'est qu'il y a eu, un peu comme l’histoire de [la crise des] passeports, un trop-plein de demandes d'employeurs à travers le pays qui cherchent à obtenir de la main-d'œuvre à l'étranger, parce qu’ici on n’en a pas. On n’en a pas assez. À la suite de cette surcharge de travail , les agents d'immigration qui se trouvent à traiter les données et les dossiers sont incapables de suivre la cadence.»
Mais cette pénurie de main-d'œuvre n’est pas arrivée du jour au lendemain. Mme Texeira et son équipe avaient déjà prévu le coup avant la pandémie et avaient entamé des démarches pour obtenir des travailleurs de l’étranger il y a quelques années. «C'était pour faire venir quatre personnes. [...] Finalement, il y a une personne qui est arrivée en avril 2021. Ça fait déjà plus d'un an qu'elle travaille avec nous et ça se passe super bien.»
L’an dernier, ce sont donc 11 demandes de travailleurs étrangers qui ont été remplies selon la même procédure, puisque l'entrepreneure constatait les défis qu’allait représenter la réouverture post-pandémie pandémie. «L'objectif était de réussir à faire en sorte que les gens arrivent pour décembre 2021. En décembre 2021 on a bien vu que ça ne se passerait pas. Et puis ensuite, on nous a dit qu’en mars 2022, on allait avoir des gens qui arriveraient. Et puis en mars 2022, ce n'est pas arrivé. On nous a parlé d'avril. Ensuite, on nous a parlé de juin, puis maintenant on est au 16 août et les dossiers sont encore en traitement.»
« Après deux ans, comme industries, à avoir souffert, c'est difficile à accepter qu'on ait tout fait de notre côté pour s'assurer d'avoir en place ce qu'il fallait pour réussir. Mais le gouvernement n'a pas suivi la cadence. »
— Manuela Teixeira, présidente-directrice générale du Square Old Chelsea
Au total, en plus de ses 138 employés actuels, Mme Texeira estime qu’il lui faudrait au moins une quinzaine d'employés supplémentaires, voire 20 personnes de plus, pour pouvoir fonctionner adéquatement. «C'est une pression sur les employés. L'équipe de gestion essaie de faire attention à tous les employés parce que sinon c'est trop, c'est trop de travail. L'autre conséquence, c'est qu'on est obligé d'accepter des gens moins qualifiés. Alors que nous ce qu'on veut, c'est d'avoir des employés qui font une carrière vraiment. Ce n’est pas tout le monde, mais on va avoir au moins une bonne partie des employés qui sont dans cette industrie-là parce que c'est une carrière pour eux, donc qui ont les qualifications nécessaires pour faire du bon travail. En ce moment, on ne peut rien faire. C'est décourageant, mais on peut ne rien faire, sauf attendre que les choses avancent.»
Les entreprises en croissance de Manuela Teixeira souffrent d’ailleurs, comme plusieurs autres entreprises, de ce manque de main-d'œuvre. Elle indique avoir procédé à des investissements importants pour être capable de suffire à la demande des clients. Mais force est de constater qu’elle doit maintenant se raviser à restreindre et refuser des clients, tout simplement. «On doit réduire la capacité d'accueil de nos établissements. On doit refuser des groupes. On avait des groupes d'affaires, des mariages, des groupes de réception et tout ça. C'est vraiment des grosses pertes. Pendant la saison estivale, c'est le moment où on remplit les coffres. Donc on a perdu ces argents-là pendant l'été. Après deux ans, comme industries, à avoir souffert, c'est difficile à accepter qu'on ait tout fait de notre côté pour s'assurer d'avoir en place ce qu'il fallait pour réussir. Mais le gouvernement n'a pas suivi la cadence.»
Priorité aux services essentiels
«En raison des arriérés de demandes du ministère et malgré nos efforts, nous savons que plusieurs demandeurs connaissent des temps d’attente considérables pour le traitement de leurs demandes», a indiqué Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), par courriel. «Nous continuons à faire tout notre possible pour réduire les délais de traitement. Nous remercions les demandeurs pour leur patience et leur compréhension.»
IRCC souligne être en transition vers un environnement de travail flexible plus «intégré, modernisé et centralisé» dans l’optique de pouvoir traiter les demandes plus rapidement. «Pour réduire les temps d’attente, IRCC continue d’utiliser le financement supplémentaire de 85 millions de dollars de la Mise à jour économique et budgétaire de 2021 pour embaucher de nouveaux agents de traitement, numériser les demandes et répartir le travail entre nos bureaux à travers le monde. Nous poursuivons nos efforts visant à réduire le nombre de demandes à traiter qui se sont accumulées durant la pandémie.»
Sur son site web, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada étale d’ailleurs les délais de traitement estimés pour l’obtention d’un permis de travail par pays une fois la demande reçue sur son site web. Pour l’obtention d’un permis de travail à partir de l’étranger. Une demande en provenance du Maroc, par exemple, indique un délai d’environ 17 semaines. «Pour le traitement des permis de travail, il est important de noter qu’en ce moment, nous donnons la priorité aux personnes qui offrent ou appuient des services essentiels, c’est-à-dire les professions liées à l’agriculture et à l’agroalimentaire, professions liées aux soins de santé, et ceux dans le domaine du transport ainsi que les travailleurs de l’industrie cinématographique et télévisuelle», précise toutefois le ministère. «Pour les personnes qui font une demande pour un permis de travail qui n’est pas considéré dans une profession essentielle, le délai de traitement pourrait être plus long que celui indiqué sur notre site Web.
Sans compter qu’au Québec, l’entrée de travailleurs étrangers temporaires assujettis aux exigences relatives à l’étude d’impact sur le marché du travail (EIMT) doit obtenir le consentement du ministre du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration pour entrer au Québec.
Manuela Teixeira espère surtout qu’après tous ces mois de délais, les travailleurs qu’elle doit accueillir n’ont pas encore changé leurs plans. Elle craint de devoir recommencer tout à zéro. C'est ce que je pense qui risque d'arriver. On ne peut pas laisser des gens en suspens comme ça. [...] Pour [les travailleurs], leur situation a peut-être changé, leur situation économique, leur situation familiale. Ils ont peut-être accepté un poste aussi ailleurs. Et nous ça nous laisse à gérer une situation sur laquelle on n’a aucun contrôle finalement.»