Étienne Lajoie Le Devoir 14 février 2023
Des centaines de demandeurs d’asile francophones ont été transférés — souvent contre leur propre gré — du Québec à l’Ontario depuis le mois de juillet. La tâche de les orienter à leur arrivée dans la province majoritairement anglophone repose en grande partie sur le travail d’intervenants et d’organismes communautaires francophones.
Le gouvernement fédéral a envoyé près de 5500 demandeurs d’asile dans quatre villes ontariennes depuis le début du mois de juillet. Un peu plus de la moitié ont été envoyés à Niagara Falls. Les autres ont pris le chemin d’Ottawa, de Windsor et de Cornwall. C’est le Québec qui a demandé à Ottawa de trouver des solutions pour gérer l’afflux d’arrivées au chemin Roxham. L’opération de transfert est entièrement sous la responsabilité d’Ottawa, qui paie pour le séjour à l’hôtel.
À Niagara Falls, près de 1300 demandeurs d’asile seraient logés dans quatre hôtels, selon un intervenant sur place. Ottawa ne conserve pas de données sur la langue parlée des gens transférés, mais d’après Bonaventure Otshudi, le directeur des services aux nouveaux arrivants du Centre de santé communautaire Hamilton/Niagara, environ 10 % des demandeurs logés à Niagara Falls sont francophones. Cornwall a accueilli « un grand nombre de francophones », affirme pour sa part Sonia Behilil, directrice des opérations à l’Association des communautés francophones de Stormont, Dundas et Glengarry (ACFO-SDG).
Les défis pour ces demandeurs d’asile francophones sont nombreux à leur arrivée en Ontario. Certains sont désorientés et ne savent même pas où ils sont. Des intervenants les orientent, servent d’interprètes lors des rendez-vous médicaux, les aident à ouvrir des comptes bancaires et à trouver un logement dans leur région. « Quand les demandeurs d’asile arrivent ici, il y en a qui sont dans la misère », relève Naromie Azar Charles, présidente-directrice générale de l’organisme Regohva, à Welland, près de Niagara Falls, et agente financière chez Desjardins.
Afflux rapide
Le gouvernement fédéral a offert peu d’informations à la population au sujet du transfert des demandeurs d’asile. L’expérience des intervenants sur le terrain montre toutefois que l’arrivée des demandeurs en Ontario est survenue subitement. À Cornwall, l’ACFO-SDG — qui a récemment créé son propre carrefour d’accueil à l’immigration — est passé de 5 visiteurs à 60 « très rapidement », dit Sonia Behilil. « On avait à faire avec des personnes perdues, malgré les ressources disponibles », raconte-t-elle.
L’ACFO-SDG a alors proposé au DEV Hôtel et Centre de conférence, qui loge des centaines de demandeurs d’asile, de collaborer pour venir en aide aux réfugiés. Du mois de novembre à janvier, l’association francophone a arpenté les couloirs de l’hôtel et a aidé les demandeurs d’asile à intégrer la communauté, à obtenir leurs prestations, à trouver les ressources dont ils avaient besoin et à assurer leur sécurité. « On était tellement fiers de montrer qu’une initiation francophone avait sa place sur la scène élargie de la région , affirme Sonia Behilil.
À Niagara Falls, des intervenants comme Bonaventure Otshudi visitent aussi les hôtels. Le séjour dans ce type d’établissement est une bénédiction et une malédiction pour les réfugiés, estime Adrien Wilsonne, un pasteur d’origine haïtienne à Fort Érié. Ils habitent quelque part, mais n’ont pas de contact avec ce qui se passe à l’extérieur des murs, dit-il. Certains francophones séjournant à l’hôtel se sont fait dire qu’ils avaient un rendez-vous médical « et quand ils sont arrivés, ils ont constaté qu’ils ne comprenaient pas l’anglais », décrit Adrien Wilsonne, qui a joué le rôle d’interprète pour certains demandeurs d’asile.
Appel à la solidarité
Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada assurait par le passé que les transferts se faisaient sur une base volontaire, mais en réponse à une question du Devoir, l’agence a admis qu’il est possible qu’une personne soit déplacée contre son gré en Ontario, puis renvoyée au Québec lorsqu’une place au Québec devient disponible. Adrien Wilsonne est catégorique : « Ce sont des gens qu’on a débarqués », dit-il. Certains retournent même par leurs propres moyens au Québec, puisqu’ils ont de la parenté dans la province.
Pour ceux qui décident de demeurer dans la région de Niagara, la transition de l’hôtel vers leur propre logement est complexe. Le loyer moyen d’un appartement de deux chambres est de 1260 $ dans la région, mais le programme d’aide sociale ontarien n’offre qu’une allocation pour logement de 756 $ pour une famille de quatre. « J’ai une famille qui a trois enfants et dont la femme est enceinte. Pour un logement, on demande papier de travail, dossier de crédit et en plus de ça, avec l’inflation, l’allocation de base n’est pas suffisante », illustre Naromie Azar Charles.