Radio Canada 13 novembre 2022
Alors que les soulèvements se poursuivent en Iran, les tensions entre les partisans du régime et ceux qui aspirent à la révolution se font sentir dans la diaspora iranienne. À Toronto, des militants anti-régime ont décidé d’exposer les proches du gouvernement qui, selon eux, vivent en toute impunité au Canada.
Cet homme m’a envoyé, avec beaucoup d’autres étudiants, en prison, lance Ardeshir Zarezadeh, un avocat torontois d’origine iranienne, en pointant l'écran de son ordinateur.
Sur le site de son organisme, le centre international des droits de la personne, se trouve la photo de Morteza Talaei, ancien chef de la police de Téhéran et officier du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), aperçu sur un tapis roulant, dans un gymnase de Richmond Hill, en Ontario, en janvier.
Depuis le début du soulèvement en Iran, M. Zarezadeh appelle les membres de la diaspora iranienne au Canada à lui faire parvenir des informations concernant les proches du régime iranien qui visitent le Canada ou y vivent afin de les exposer sur son site Internet.
Nous savons tous que beaucoup de personnes affiliées au régime iranien vivent au Canada. Ils vont et viennent. [...] Ils profitent de la vie au Canada, soutient l’avocat qui a passé près de six ans dans les prisons iraniennes pour son engagement dans les mouvements étudiants.
Le Canada, le paradis du régime
Pour Mohammad Tajdolati, il ne fait aucun doute que la présence de partisans du régime iranien au Canada exacerbe les tensions au sein de la diaspora depuis le début du soulèvement. On a une expression en Iran selon laquelle le Canada est le paradis du régime, affirme le journaliste iranien basé à Toronto.
Le 29 octobre, dans un discours que la diaspora attendait depuis longtemps, le premier ministre Justin Trudeau a promis de maintenir les sanctions contre le régime iranien et ses dirigeants.
Une promesse reçue avec scepticisme par M. Zarezadeh. Le militant affirme avoir contacté le gouvernement fédéral à plusieurs reprises au cours des dernières années pour dénoncer la présence de proches du régime sur le territoire canadien, mais aucune mesure concrète n' a été prise par Ottawa.
Ils nous disent : "On le sait, on les surveille", mais ça ne suffit pas. [...] C’est pour cela que nous prenons les choses en main, dit-il.
Chasse aux sorcières
Et il n’est pas le seul. Ce même ras-le-bol a poussé Marjan, dont le nom a été changé par peur de représailles envers sa famille en Iran, à commencer à enquêter sur les partisans du régime iranien installés au Canada. La jeune Torontoise a quitté l’Iran pour fuir la répression.
Après son arrivée au Canada, elle a gardé ses distances avec sa communauté d’origine. Le soulèvement en Iran a cependant allumé une nouvelle flamme en elle. Sur le compte Instagram opiran.toronto, elle dénonce maintenant les proches du gouvernement dont les familles, selon elle, vivent librement au Canada.
Quand je vois ces gens ici, c’est comme un syndrome de stress post-traumatique pour moi. Je les vois près de chez moi, dans la rue, je vois leurs enfants jouer librement alors que moi, je n’avais pas ce luxe dans mon pays, s’indigne-t-elle.
Même s’il comprend la colère de ses compatriotes, M. Tajdolati s’inquiète des dérives que pourraient engendrer certaines de leurs actions, comme la dénonciation d’individus en ligne. Il faut faire très attention parce qu’on vit dans un pays de droit. On ne peut pas accuser quelqu'un facilement, prévient-il.
Ardeshir Zarezadeh, lui, dit être conscient des risques de diffamation. Nous allons nous assurer que l’information que nous publions est véridique, dit-il en affirmant qu’il continuera son combat.
Tensions exacerbées, mur de la peur brisé
Au-delà des dénonciations en ligne, les tensions se cristallisent dans la communauté. Dans le Petit Téhéran, un quartier situé au nord de Toronto et qui doit son nom à sa forte population d’Iraniens, certains incidents se sont multipliés depuis le début du soulèvement.
En face de la célèbre Plaza Irania, au cœur du quartier iranien, une boucherie a été la cible de vandalisme et d’intimidation en ligne par des internautes l’accusant d’avoir des liens avec le régime iranien.
Des graffitis en farsi disant mort aux mollahs ont par exemple été peints sur les murs du centre islamique Imam Mahdi, à Thornhill, au nord de Toronto. La mosquée s’est empressée de réfuter toute allégeance politique.
Devant la même mosquée, toutefois, des pancartes avec le portrait de la jeune Mahsa Amini, dont la mort a été l’étincelle du mouvement, ont été retirées, à en croire une vidéo largement partagée sur le réseau WhatsApp. Et toujours au même endroit, un automobiliste a tenté de foncer sur des manifestants antirégime avant de prendre la fuite et de se faire arrêter par la police. Sur les réseaux sociaux, il avait publié des messages appuyant Ali Khamenei, actuel guide suprême de la Révolution islamique.
La police régionale de York, qui dessert ce territoire, affirme ne pas s'inquiéter d’une possible recrudescence des actes à caractères haineux en lien avec les événements en Iran. Elle se dit toutefois consciente des divisions qui existent au sein de la diaspora iranienne du Grand Toronto.
Selon Mohammad Tajdolati, les tensions ont toujours été sous-jacentes dans la communauté, les partisans des deux idéologies vivant ensemble. En revanche, cette fois-ci, la peur a changé de camp, selon le journaliste.
Les personnes que l’on voit maintenant dans les rues, avant, elles ne venaient pas aux manifestations parce qu’elles avaient peur, assure-t-il, expliquant qu’être photographié à un événement de ce genre pouvait ensuite rendre difficiles les déplacements en Iran ou compliquer les choses pour leur famille au pays.
Maintenant, poursuit-il, la situation est tellement atroce en Iran, elle est tellement brutale, tellement inhumaine, que ces gens-là se disent non, c’est assez. Je veux participer, je veux faire mon devoir en tant qu’être humain, en tant qu’Iranien.
Le mur de la peur s’est brisé.
De leur côté, ni le gouvernement fédéral ni la mosquée Imam Mahdi n’ont répondu à nos demandes d’entrevue.