Julien Sahuquillo 30 janvier 2023 Radio Canada
C’est un long processus interne qu’a entamé l’Université de Toronto depuis le printemps 2022. Repenser sa politique en matière d’inclusion et de lutte contre le racisme anti-asiatique au sein du campus, avec l’aide d’un groupe de travail constitué pour l’occasion.
La décision a des allures de mea culpa après un incident qui a insulté de nombreux étudiants asiatiques lors du Nouvel An lunaire de 2022.
Pour marquer le début des célébrations du festival du printemps (qui suit le Nouvel An lunaire), la maison des étudiants avait envoyé des traditionnelles enveloppes rouges aux étudiants et résidents.
Ces enveloppes sont traditionnellement remplies avec de l’argent. La maison avait choisi de placer de faux billets. Toutefois, les billets factices choisis étaient des billets spécifiquement destinés à des rites funéraires où ils sont offerts aux défunts. Les offrir à une personne vivante est extrêmement insultant et s’apparente à une menace de mort.
L’incident a provoqué une pétition en ligne, signée par plus de 12 000 personnes, qui réclamait la mise en place d’un groupe de travail pour lutter contre la discrimination et le racisme anti-asiatique sur le campus.
Christina Arayata est membre du groupe de travail contre le racisme anti-asiatique constitué par l’Université. Elle reste très critique de l'écueil de l’an dernier.
Ça montrait qu’il y avait un besoin de nuance et de sensibilité culturelle. Surtout quand c’est fait sur la base de bonne intention, ça donne l’impression que le but est juste de marquer un bon point. De cocher une case, critique celle qui est aussi doctorante en politiques d’éducation.
Trente-neuf personnes d’origine asiatique siègent dans ce groupe de travail. Ils sont étudiants, professeurs, bibliothécaires ou encore membres du personnel de l'Université.
Beaucoup de travail [que nous faisons] se base sur des discussions dans le but de voir quel est le climat sur le campus pour les étudiants d’origine asiatique. Le but est de comprendre quels sont les problèmes et les besoins spécifiques de cette population. On essaie d’en faire un endroit ouvert et un espace sécuritaire autant qu’on peut, explique Christina Arayata.
Ni l’administration de l’Université ni la direction du groupe de travail n’a été en mesure de nous accorder une entrevue.
[Le travail contre le racisme anti-asiatique] est en cours et en évolution. De temps en temps, nous réunissons des groupes pour donner des conseils sur certaines aires d'intérêt ou d’inquiétude pour la communauté universitaire, indique l’universitaire dans un message par courriel.
Des groupes de discussion mais aussi des sondages en ligne ont été proposés aux étudiants.
Un climat qui ne s’améliore pas
Pour Christina Arayata, le racisme anti-asiatique ne s'est pas estompé, surtout depuis la pandémie.
Il y avait beaucoup de stigmatisation durant la pandémie, juste dans le langage corporel. Les étudiants asiatiques sentaient une mauvaise perception les concernant. Ils étaient parfois vus comme moins hygiéniques. Ils font plus attention à porter leur masque. C’est aussi quelque chose à laquelle je suis très vigilante, témoigne-t-elle.
Par exemple, je suis d’origine philippine et on me demande souvent si je suis une aide maternelle ou si c’est comme ça que ma famille a immigré ici.
Elle estime que les défis des étudiants asiatiques à l’Université de Toronto sont également fortement liés à leur expérience du racisme anti-asiatique dans la ville.
Quant à la question des ressources mises à la disposition des étudiants, Christina Arayata souligne qu’elles doivent aussi être adaptées.
[La santé mentale] est souvent perçue comme quelque chose qui n’existe pas dans les communautés asiatiques. Lorsque les étudiants d’origine asiatique y font appel, ils font souvent face à des ressources très occidentalocentrées. Ça ne prend pas en compte des contextes familiaux particuliers, ou encore les très grandes attentes des familles asiatiques en ce qui concerne les études de leurs enfants, explique-t-elle après en avoir parlé avec plusieurs étudiants.
Des recommandations difficiles à formuler
Christina Arayata reconnaît que l’enjeu est complexe parce qu’il faut prendre en compte les différentes réalités entre des étudiants de plusieurs niveaux, les différentes facultés et les trois différents campus.
L’Université indique de son côté que la remise du rapport est prévue pour ce printemps, sans donner toutefois plus de précision.
Le groupe de travail développe aussi un inventaire de ressources, d’initiatives et de projets pour les trois campus, pour répondre au racisme anti-asiatique systémique et individuel. Il reçoit aussi de précédentes recommandations comme celles de l’Alliance antiracisme asiatique, assure l'Université.
Christina Arayata estime que le travail de l’Université ne devrait toutefois pas s’arrêter au rapport que le groupe de travail fournira.
Peu importe ce qui ressortira de ce groupe de travail, les facultés devraient faire leur propre enquête en interne, espère-t-elle.
L’Université de Toronto accueille de nombreux étudiants venus directement d’autres pays. En 2021-2022, les étudiants chinois par exemple représentaient le plus grand groupe avec 15 671 personnes.