Radio Canada 2 novembre 2022 Anne Marie Lecomte
Le premier ministre du Québec accueille avec froideur le projet d'Ottawa d'accueillir 500 000 immigrants d'ici 2025. Pour François Legault, l'économie et la pénurie de main-d'œuvre ne doivent pas prendre le pas sur la protection du français.
Cette réaction de M. Legault survient au lendemain de l'annonce, par le ministre fédéral Sean Fraser, d'un plan d'immigration par lequel Ottawa prévoit de combler la pénurie de main-d'œuvre en augmentant substantiellement le nombre d'immigrants au pays.
Je comprends qu'il y a des objectifs économiques, a déclaré le premier ministre Legault lors d'un impromptu de presse, mercredi, et que le patronat serait ouvert à ça. Mais on a le défi spécial, au Québec, de garder et de promouvoir le français et de s'assurer qu'on arrête de voir le pourcentage de francophones diminuer.
Déjà, il y avait un problème avec la cible de 400 000 immigrants que s'était fixée le gouvernement canadien il y a deux ans, a commenté François Legault, donc à 500 000, encore plus.
La Coalition avenir Québec (CAQ) a fixé à 50 000 le nombre d'immigrants que la province compte accueillir, par année, à compter de 2023. En campagne électorale, fin septembre, François Legault avait déclaré qu'il serait suicidaire pour le Québec d'accepter davantage d'immigrants, considérant la nécessité pour la province de contrer le déclin du français.
À la perspective que le poids démographique du Québec faiblisse dans la Confédération canadienne, le premier ministre Legault rappelle qu'il existe des garde-fous pour prévenir cette situation : le pourcentage de députés accordé au Québec [au Parlement canadien] est déjà un petit peu plus élevé que le pourcentage de la population.
Le Québec est une société distincte, c'est une nation et, dans ce sens-là, il y a des pouvoirs importants qu'on a, qu'on doit garder, et on doit en ajouter, affirme François Legault.
La nouvelle ministre de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration du Québec, Christine Fréchette, a par la suite renchéri en rappelant qu'il appartenait au Québec de fixer le nombre d'immigrants permanents qu'il reçoit annuellement. Et ça ne changera pas, peu importe le nombre d'immigrants qui arrivent ailleurs au Canada, a-t-elle affirmé.
À l'Assemblée nationale, l'opposition libérale a émis le souhait que le Québec accueille aux alentours de 70 000 immigrants. Toutefois, sa porte-parole en matière d'emploi, Madwa-Nika Cadet, a affirmé que c'est à Québec de fixer ses propres seuils d'immigration en fonction des besoins du marché du travail.
Priorité à la main-d'œuvre, dit Justin Trudeau
À Ottawa, mercredi, le premier ministre Justin Trudeau s'est vu demander en mêlée de presse s'il a espoir que le Québec accroîtra le nombre d'immigrants qu'il reçoit : le Québec a depuis longtemps la capacité d'augmenter ses seuils de migration, a-t-il répliqué.
Aux yeux du gouvernement Trudeau, la nécessité de créer de la croissance économique et de faire venir des travailleurs justifie la hausse des niveaux d'immigration. Et le premier ministre entend continuer de travailler avec Québec pour s'assurer qu'il y a de l'immigration francophone.
On sera toujours là pour aider M. Legault s'il veut créer plus de croissance économique au Québec, a-t-il ajouté.
Justin Trudeau affirme par ailleurs que son gouvernement est sur la voie d'atteindre les cibles fixées pour l'immigration francophone dans les autres provinces, ce qui sera une première, dit-il. On va continuer d'assurer la protection du français partout au Canada.
Ottawa défend son approche réfléchie
Le ministre canadien de l'Immigration, Sean Fraser, affirme quant à lui avoir agi dans un intérêt pancanadien en fixant ces nouvelles cibles d'immigration .
C'est essentiel pour moi de prendre la décision qui est [bonne] pour tout le pays. C'est essentiel, selon moi, d'accueillir beaucoup de nouveaux arrivants pour améliorer la pénurie de main-d'œuvre [et] les problèmes démographiques.
Appelé à expliquer comment Ottawa n'amplifierait pas la crise du logement au pays en accueillant ces nombreux nouveaux arrivants, M. Fraser a affirmé qu'Ottawa y allait d'une approche réfléchie.
Il a indiqué que le plan d'immigration prévoit de diriger les nouveaux arrivants vers des communautés qui ont la capacité de les recevoir.
Il a aussi dit que des immigrants qualifiés pourraient aider à la construction de logements. Nous avons de nouvelles flexibilités avec notre système d'entrée express [qui va] débuter en 2023 et nous permettre d'amener des travailleurs ici pour répondre aux besoins des secteurs qui ont les plus grands besoins, a dit le ministre.
Des immigrants 100% francophones
Aux yeux de Pablo Rodriguez, lieutenant politique du fédéral pour le Québec, l'arrivée massive d'immigrants au Canada représente une opportunité pour le Québec. M. Rodriguez a refusé de s'avancer sur ce que le Québec pourrait décider de faire relativement à ses seuils d'immigration.
Le Québec a déjà les pouvoirs, s'il le veut, d'augmenter de façon importante le nombre d'immigrants qu'il reçoit et qui soient 100 % francophones, a-t-il rappelé.
Selon les estimations de la population au 1er juillet 2022 réalisées par Statistique Canada, 22,3 % des Canadiens résident au Québec. Ainsi, pour maintenir son poids démographique, le Québec devrait accueillir près de 112 000 de ces 500 000 immigrants.
Mardi, le Conseil du patronat du Québec s'est réjoui que le gouvernement fédéral, avec ses nouvelles cibles, reconnaisse qu'on doit faire une plus grande place à l'immigration dans les prochaines années dans le contexte de rareté de main-d'œuvre.
Le Québec doit davantage considérer cette avenue pour s'attaquer à la pénurie de main-d'œuvre, avait soutenu son vice-président aux politiques de développement de la main-d'œuvre, Denis Hamel, dans une déclaration écrite.