Se faire soigner dans sa langue est un des meilleurs remèdes, selon une étude

Anne-Charlotte Carignan 11 juillet 2022

Les patients qui reçoivent des soins dans leur langue seraient en meilleure santé, révèle une étude publiée dans le journal de l’Association médicale canadienne (CMAJ).

Les 11 chercheurs qui ont pris part à cette étude(Nouvelle fenêtre) (disponible en anglais) publiée lundi ont analysé les données de 189 690 adultes qui recevaient des soins à domicile et qui ont été admis dans des hôpitaux ontariens entre avril 2010 et mars 2018.

Leurs recherches montrent que lorsque les francophones et les allophones reçoivent des soins médicaux dans leur langue, des incidents malencontreux en matière de soins sont moins susceptibles de se produire, les séjours hospitaliers sont souvent plus courts et les risques de mourir à l'hôpital sont moins élevés, comparativement aux personnes qui n’ont pas été soignées dans leur langue, conclut l’étude.

Dans le contexte de cette étude, le mot allophones désigne des personnes dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais.

Elle démontre que le fait d’être soigné dans sa langue a sensiblement le même effet sur les francophones et sur les allophones. Toutefois, l'étude note une variation des risques de mortalité lors d’une admission à l’hôpital.

[Chez] les patients francophones qui reçoivent des soins en français, on observe une réduction de 24 % du nombre de décès après leur admission à l’hôpital. Chez les personnes allophones, on note une réduction de 54 %, a expliqué à Radio-Canada une des co-autrices de l’étude, Emily Seale, étudiante en médecine et chercheuse à l’Institut du savoir Montfort.

Étude innovatrice

Emily Seale croit que cette étude se distingue de celles réalisées par le passé.

Nous n’avions aucune littérature scientifique qui montrait à quel point il est important pour un médecin de parler la même langue que le patient admis à l’hôpital. [...] Ce que notre étude démontre, c’est que si on peut donner des soins concordants d'un point de vue linguistique, on peut réduire les conséquences [négatives pour les patients], explique Mme Seale.

L'enquête indique qu’un peu plus de la moitié des médecins qui ont participé à l'étude étaient anglophones et que les autres étaient multilingues.

Près de la moitié des patients francophones (44,4 %) ont été traités principalement par des médecins francophones. Seulement 1,6 % des allophones ont reçu la plupart de leurs soins de médecins qui parlaient une langue suffisamment proche de leur langue principale, peut-on lire.

Pour Mme Seale, cela signifie que les services sont plus accessibles pour les personnes francophones que pour les allophones en Ontario.

Il faut offrir des soins dans la langue maternelle, concluent des experts

Professeure à la Faculté des sciences de l’Université de Saint-Boniface, Danielle de Moissac croit que cette étude pourrait avoir un effet positif considérable, notamment sur l’offre de soins de santé en français, puisqu’elle défait des préconceptions.

Elle croit qu’il faut faire des efforts pour offrir activement des services en français, donc pour que les médecins accueillent leurs patients dans leur langue, qu'ils les interrogent sur la langue qu’ils souhaitent utiliser et qu'ils les réfèrent à un pourvoyeur qui soit en mesure de communiquer dans leur langue, le cas échéant. Lorsque ce n’est pas possible, on peut au moins offrir un service d'interprète.

C’est aussi ce qu’écrivent les chercheurs de l’étude dans leur conclusion.

En 2016, au Canada, 6,1 millions de personnes vivaient à un endroit où leur langue n'était pas parlée par la majorité de la population ou n’était pas reconnue comme langue officielle dans leur province ou dans leur territoire, selon Statistique Canada.

La langue au centre d'une poursuite au Manitoba

Les gestionnaires d’hôpitaux devraient mettre en œuvre des mesures destinées à augmenter l’offre de soins dans la langue du patient (par exemple en dirigeant le patient à un médecin qui parle la même langue), indique-t-on dans cette étude de l’Association médicale canadienne.

Au Manitoba, le cas d’une mère qui poursuit l'administration de la région sanitaire de Santé Sud illustre les drames qui peuvent se produire lorsque surviennent des problèmes de communication liés à la langue.

Selon la poursuite, un bébé aujourd’hui âgé de cinq ans a subi des lésions cérébrales à la suite de saignements consécutifs à une circoncision.

La poursuite allègue que le système de santé a été négligent en ne fournissant pas à la famille des services d'interprète pour l'aider à surmonter une barrière linguistique majeure.

On peut imaginer que lorsque les gens sont émotifs et que cela affecte la santé de leur nouveau-né [...], la difficulté [de l'anglais] est accrue, affirme l'avocat de la plaignante, Martin Pollock. La cause n'a pas encore été entendue et les allégations n'ont pas été prouvées devant un tribunal.

Un service direct est toujours mieux

Pour la directrice générale de l’organisme manitobain Santé en français, Annie Bédard, il est toujours préférable qu’un médecin puisse communiquer directement dans la langue de son patient.

Les services d’interprète sont de dernier recours, dit-elle. C’est mieux que rien, mais un service direct est toujours mieux. Si on peut avoir un lien direct avec un professionnel, on peut bâtir un lien de confiance.

Cette relation de confiance est nécessaire pour pouvoir s’exprimer, pour pouvoir être à l’aise, selon Mme Bédard.

L'étude publiée dans le journal du CMAJ a été révisée par des pairs.