Survivre ou aider autrui : l’impact de l’inflation sur les immigrants

Francesca Mérentié Publié le 3 septembre 2022

L'inflation a un impact sur la santé mentale de nombreux Canadiens issus de l'immigration qui éprouvent des difficultés à offrir du soutien financier à leurs proches.

Sandra Sassa est originaire du Congo. En cette période inflationniste, il lui est difficile de réconcilier sa part de vie africaine et canadienne. C’est vraiment ma santé mentale qui en souffre; à vouloir tirer les deux bouts du monde, l’Amérique et l’Afrique, explique-t-elle.

Pour elle, envoyer de l’argent vers son alma mater afin d’aider les siens est un devoir. J’ai une carte de loyauté chez Western Union, dit-elle en riant de cette pièce symbolique qui démontre l’importante fréquence de ces transferts de fonds.

La Torontoise explique qu’une partie importante de son gagne-pain est transférée au Congo pour la survie des gens de là-bas. Toutefois, ces derniers temps, elle se voit obligée de refuser de plus en plus demandes de soutien. Une situation face à laquelle elle se sent impuissante. J’ai le sentiment que je les ai abandonnés, dit-elle.

Cela fait 30 ans que ses parents et elle ont immigré au Canada alors qu’elle était une adolescente. Aujourd’hui, mère de quatre enfants, elle confie que ces trois décennies n’ont guère refroidi ses liens avec ses proches en Afrique.

Ses parents lui ayant enseigné que la famille élargie et mononucléaire revêtent la même importance. Nous sommes très famille, dit-elle en joignant les mains en signe d’unité. D’ailleurs, chez nous, les termes cousins n’existent pas, ajoute-t-elle. D’où son sentiment de devoir à tout prix appuyer sa famille en Afrique. Comment ne pas le faire vu la réalité [au Congo]?

Mme Sassa confie devoir prioriser ses factures d’épicerie tout en repoussant les échéances d’autres responsabilités. Je dois nourrir mes enfants [si bien que ] demain je pourrai manquer de payer l’électricité ou le gaz.

Pour Mme Sassa, devoir dire non à certaines demandes de ses proches peut aussi avoir des conséquences graves. Elle explique par exemple que le fait de ne pas payer des médicaments à quelqu’un peut déboucher sur son hospitalisation. Une facture qui pourrait donc lui coûter plus cher. Ça vient avec beaucoup d’anxiété [...] connaissant aussi les réalités socio-économiques des gens de là-bas, si aujourd’hui je dis non, demain ce même problème va s’accroître, dit-elle.

Patrick Kaketa Mpiana, président de l’Association des Congolais de l’Ontario, confie faire face aux mêmes enjeux. Moi, personnellement, j’ai décliné certaines demandes des familles [...] Vous vous sentez impuissant, dit-il.

De plus, M. Mpiana explique que cette situation est source de tensions dans les familles.

Même son de cloche du côté de la Coalition des Noir.e.s de l’Ontario. Le vice-président de l'organisme, Patrick Auguste, prévoit une augmentation des problèmes de santé mentale et des tensions familiales. De façon générale, les immigrants ont une certaine vulnérabilité pour faire face à leurs besoins de première nécessité, dit-il.

Ajoutant à cela le facteur de l’inflation, M. Auguste croit que cette situation augmente le stress. Aider la famille restée dans le pays d’origine, c’est très important pour les nouveaux arrivants.

Sandra Sassa croit également que l’inflation touche de manière particulière ces confrères africains. Nous faisons face à la même tempête, mais racialement parlant, on n’est pas tous dans le même bateau.

S’adapter pour résister à l’inflation

Yahudha Man Kamaha est d’origine camerounaise et vit en Ontario depuis 5 ans. Il soutient financièrement sa femme et ses trois enfants restés en Afrique. Selon la mentalité africaine, on n’abandonne pas ses proches. Même si c’est plus difficile ici, on essaie de se battre pour voir dans quelle mesure s’ajuster, dit-il.

Comme mesures d’adaptation face à l’inflation, M. Kamaha choisit de diminuer certaines dépenses personnelles et de multiplier les emplois. Je n’ai pas de voiture en ce moment, donc je ne stresse pas pour les assurances, l’essence, dit-il. Je n’aime pas dépendre d’une seule source de revenus.

Inflation oblige, le résident de Scarborough envisage de diminuer l’aide s’il le faut. La facilité avec laquelle on aidait les proches va peut-être diminuer, raconte-t-il.

De son côté, Sandra Sassa envisage de recourir aux banques alimentaires pour diminuer sa facture d’épicerie afin de pouvoir soutenir ses proches en Afrique.