30 000 $ pour un visa de travailleur étranger temporaire

Francis Plourde Radio Canada 16 septembre 2022

Une jeune femme, à qui on a demandé de débourser des milliers de dollars pour pouvoir obtenir un visa à travers le programme des travailleurs étrangers temporaires, sonne l’alarme, car ce système fait en sorte que des immigrants sont à la merci d’employeurs sans scrupules.

En théorie, obtenir un emploi aurait dû être facile pour Pawan, une jeune femme originaire d’Inde, et dont nous avons accepté de n’utiliser que le prénom.

Arrivée au Canada en décembre 2016, l’immigrante, aujourd'hui âgée de 25 ans, maîtrise l’anglais, a suivi des cours postsecondaires en Colombie-Britannique et cherche du travail, alors que le taux de chômage n’a jamais été aussi bas au pays.

En réalité, pour une question de permis de travail, elle s’est retrouvée à la merci d’un intermédiaire lui réclamant 30 000 $ pour ses services afin d’obtenir un visa de travailleur étranger temporaire et un emploi au salaire minimum ne respectant pas les normes du travail.

Selon des experts que nous avons consultés, de nombreux immigrants se font flouer chaque année par des employeurs leur réclamant illégalement des sommes importantes pour leur visa de travailleur étranger temporaire.

Pawan a décidé de raconter son histoire afin d’aider d’autres immigrants dans sa situation.

Établie au Canada depuis six ans, Pawan s’est retrouvée dans une situation particulière l'année dernière, quelques mois avant l'expiration du permis de travail ouvert qu’elle avait obtenu avec son ex-conjoint.

Je devais obtenir mon propre statut et, lorsque j’ai raconté mon histoire à une connaissance, qui est maintenant consultante en immigration, celle-ci m’a dit qu’un de ses amis allait m’aider à obtenir un visa de travail.

L’ami en question était entrepreneur sur l’île de Vancouver. Il lui offrait un emploi et l’occasion d’obtenir un visa fermé grâce au programme des travailleurs étrangers temporaires.

L’employeur affirmait avoir en sa possession une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT), un document lui permettant d’embaucher des travailleurs étrangers.

Il m’a demandé de payer 5000 $ pour ouvrir le dossier, explique la jeune femme. Cette somme n'était pas remboursable et devait servir au processus d’obtention du permis de travail.

Pawan était censée débourser de l'argent à chaque étape. Le montant total était de 30 000 $, dit-elle.

Elle a donc accepté de débourser les 5000 $ demandés.

Elle ne le savait pas encore, mais l’offre était illégale : un employeur ne peut pas - directement ou par un intermédiaire - réclamer des frais à un employé pour payer les coûts de l’EIMT, estimés à environ 1000 $, selon Emploi et Développement social Canada (EDSC).

Un problème systémique

Plus de 100 000 travailleurs étrangers temporaires s'installent au Canada chaque année. Le programme permet à des employeurs d’embaucher des travailleurs migrants si aucun citoyen canadien ou résident permanent n’est disponible pour effectuer le travail.

Celui-ci a gagné en popularité pendant la pandémie, lorsque, au premier trimestre 2022, Statistique Canada signalait qu'il y avait 890 385 postes vacants et que des employeurs faisaient état de pénuries d’employés partout au pays.

Pour pouvoir en bénéficier, les employeurs doivent simplement réaliser une étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). Les frais pour les employeurs totalisent généralement 1000 $ par poste. Ces coûts, en vertu des règlements du programme, ne peuvent pas être réclamés aux travailleurs étrangers temporaires, confirme EDSC par courriel.

Sur le terrain, plusieurs employeurs font toutefois appel à des intermédiaires qui demandent des sommes considérables aux chercheurs d’emploi pour leurs services, comme l'expliquent des organismes d’aide aux immigrants.

Le fait que ces travailleurs migrants viennent ici de façon temporaire avec un statut précaire associé à un employeur spécifique ouvre la porte à ces abus, explique Jonathon Braun, du Migrant Workers Centre, à Vancouver.

Cet avocat reçoit régulièrement des appels d’immigrants dans des situations similaires. Les montants peuvent varier, mais je vois de plus en plus des gens à qui on fait payer des frais allant de 30 000 à 50 000 $ US, dit-il. Le montant le plus élevé que j’ai vu était de 75 000 $ US [soit environ 100 000 $ CAN].

Souvent, il s’agit d’immigrants qui découvrent, une fois arrivés au Canada, que l’emploi rattaché à leur visa n’existe pas.

Ils ont contracté une dette importante et ils se retrouvent dans une situation où ils ne peuvent pas faire d’argent », explique Jonathon Braun. « Ils sont alors forcés de faire du travail au noir, ce qui pourrait compromettre leur statut d’immigrant.

Des recours parfois longs

La situation est connue à Ottawa : un rapport déposé au Parlement en 2020(Nouvelle fenêtre) fait état d’abus et de réseaux d’extorsion, de fraude et de vol de salaire par des recruteurs et des consultants en immigration qui exigent des droits illégaux en échange de la promesse trompeuse d’un travail et même de la résidence permanente au Canada.

Les victimes de ce type de fraude peuvent déposer une plainte(Nouvelle fenêtre) auprès d'EDSC ou poursuivre l’employeur.

Toutefois, récupérer ces montants peut prendre beaucoup de temps et il n’y a aucune garantie, explique l’avocat.

Deux de ses clients ayant payé 10 000 $ US en 2017 pour des emplois au Canada ont récemment eu gain de cause. Ils n’ont toujours pas reçu leur argent, déplore-t-il.

Que fait Ottawa?

Emploi et Développement social Canada (EDSC) dit effectuer 2800 inspections par année auprès de plus de 22 000 employeurs qui reçoivent une étude d'impact sur le marché du travail (EIMT).

En cas de non-conformité, des pénalités allant de 500 $ à 1000 $ par infraction peuvent être remises jusqu’à concurrence de 1 million de dollars, ou la révocation d’EIMT déjà accordées. Les employeurs récalcitrants sont placés sur une liste noire accessible en ligne(Nouvelle fenêtre) (site externe).

Quand Pawan a accepté l’offre d’emploi associée à son visa, en décembre dernier, elle a déménagé sur l’île de Vancouver avec l’assurance que son EIMT arriverait avant l’expiration de son visa.

Sur l'offre d’emploi datée de décembre dernier et consultée par Radio-Canada, on peut lire qu’il s’agit d’un emploi à temps plein, payé 20 $ de l’heure, 7 heures par jour, avec des heures supplémentaires payées à temps et demi. Dans les faits, elle a travaillé au salaire minimum de 15,20 $, 9 heures par jour, 6 jours par semaine, sans pause et sans qu’on lui paie les heures supplémentaires.

Si Pawan a accepté des conditions de travail allant à l’encontre des normes du travail, c’était pour pouvoir rester légalement au Canada.

Cela devait m’aider pour obtenir l’EIMT [nécessaire pour mon visa], alors je n’ai rien dit, explique-t-elle.

Or, au fil des échanges consultés par Radio-Canada, il est devenu clair qu’aucune demande n’avait été faite auprès du gouvernement fédéral. À plusieurs reprises, Pawan a pressé son employeur de faire quelque chose, sans succès.

Le 16 juin dernier, après plusieurs mois de retard, la jeune femme a finalement reçu un message texte de son employeur : Ton EIMT est approuvée. Elle a alors dû transférer 10 000 $ à une tierce partie pour que le document soit inclus dans son dossier auprès d’IRCC.

Durant la même période, elle est tombée malade et n'a pu travailler pendant plusieurs jours.

J’ai reçu un message texte de ma gérante, qui m’a dit que, si je ne venais pas travailler, elle allait me dénoncer à l’immigration, annuler mon visa de travail et me faire expulser, raconte-t-elle.

C’est à ce moment qu’elle a commencé à contacter des organismes d'aide aux immigrants. On m’a dit que je ne devais pas payer autant, que l’employeur devait payer pour tout, raconte-t-elle. J’étais sous le choc.

Pawan a finalement quitté son emploi le mois dernier. La jeune femme a porté plainte auprès d'EDSC et a déménagé chez un proche à Surrey jusqu’à ce qu’elle puisse clarifier son statut au Canada.

Sa mésaventure lui a laissé un goût amer.

Nous arrivons ici fraîchement diplômés, ce qui fait de nous des cibles faciles parce que nous ne connaissons pas les règles », dénonce-t-elle. « Les lois favorisent les employeurs. Le Canada doit sensibiliser les immigrants à ces situations, à propos des lois et des règles en place pour les immigrants.

Son message aux autres immigrants est simple : N'écoutez pas tout ce que votre employeur vous dit. Faites vos recherches, il y a plusieurs organisations qui sont là pour vous aider.