Karine Mateu 17 octobre 2022 Radio Canada
Dans une salle d'un organisme communautaire du Centre-Sud de Montréal, des hommes de nationalités et d'âges divers sont réunis. Cahier devant eux et crayon à la main, Pierre, Adrian, Youssouf et Ahmed sont les premiers participants du projet « Hommes-Relais ». Ils sont accompagnés par l'organisateur communautaire César et par des formateurs, Navid et Alain, employés par le Carrefour de ressources en interculturel (CRIC), qui gère le projet. L'accueil est chaleureux et c'est avec générosité qu'ils racontent ce qui les a menés jusqu'ici.
J'ai voulu suivre cette formation pour aider les autres, ceux qui ont quitté leur pays et qui viennent s'installer au Canada, parce qu'il y en a qui sont en état de choc quand ils arrivent ici. Il faut bien qu'ils rencontrent quelqu'un qui peut leur donner des renseignements, contacter les gens et faire les démarches administratives avec eux, à la banque, par exemple, explique Pierre Wilu Wilu, originaire de la République démocratique du Congo et arrivé au Québec il y quatre ans.
Adrian Martinez, lui, est originaire de l'Argentine et a immigré au Canada il y a 19 ans. Enseignant et pianiste, il souhaite maintenant partager son expérience pour soutenir les personnes qui arrivent. Pour moi, c'est un peu une retraite ou plutôt une réorientation de carrière. Et je suis passé par là, tout le processus d'immigration, donc c'est une façon de redonner un peu ce que j'ai reçu. Je peux aider à traduire, dans mon cas en espagnol, et diriger les gens vers les bonnes ressources en santé, en éducation, pour le logement ou pour la nourriture, explique-t-il.
Écoutez le reportage de Karine Mateu diffusé à l’émission L’heure du monde (en semaine de 18 h à 19 h).
L'expertise de l'immigration
Le CRIC a mis sur pied il y a 10 ans un projet de femmes-relais, des femmes immigrantes formées pour faire le relais entre les nouveaux arrivants et la société d'accueil.
Elle estime que le projet a fait ses preuves. C'est maintenant pour atteindre davantage les hommes que le volet masculin voit le jour.
Les participants proviennent des tous les continents et ont des parcours différents. Mais ils ont en commun d’avoir quitté leur pays d’origine pour immigrer au Québec. Ils maîtrisent aussi le français en plus de leur langue d'origine. Les hommes-relais pourront donc offrir des services en espagnol, en arabe, en malinké, en bambara, en swahili, en perse et dans bien d'autres langues.
Pour bien accompagner les nouveaux arrivants, les hommes-relais vont recevoir jusqu'à 32 ateliers de formation, explique l'organisateur communautaire César Amaya. Il s'agit de formations sur les ressources du quartier, sur le système scolaire, sur le système de soins de santé ou sur les droits des locataires. La police de Montréal, par exemple, vient parler des lois, et d'autres intervenants viennent parler des droits des femmes, explique-t-il.
Au moment de notre visite, le consultant Alain Giroux abordait avec eux la question des techniques d'accompagnement. Moi, je veux les outiller pour qu'ils puissent accompagner des gens qui sont en souffrance ou en impuissance et les amener à faire un premier pas vers la résolution de leurs problèmes, de façon assez simple, tout en posant leurs limites, car ce n'est pas de l'intervention, précise-t-il. De plus, tout au long du projet, les hommes-relais sont soutenus par un accompagnateur, Navid Mahmoodi, immigrant et diplômé en psychologie.
C'est d'ailleurs pour avoir toutes ces connaissances que Youssouf Fofana, qui est aussi imam, s’est joint au groupe. Au Québec depuis 30 ans, ce guide religieux musulman originaire de la Guinée reçoit régulièrement les confidences de nouveaux arrivants : Souvent, nous sommes en première ligne pour ce qui est de l'immigration et même de la violence conjugale et d'autres sujets. J'espère qu'après ma formation, j'aurai un carnet d'adresses suffisant pour mieux aider.
Offrir de l'aide aux hommes
Le quatrième homme-relais, Ahmed Z I Hammouda, est celui qui a le moins d'expérience en sol québécois. Originaire de la Palestine, il a demandé l'asile au Canada juste avant le début de la pandémie de COVID-19. Toutes les ressources étaient fermées. J'ai suivi mes cours de francisation, la plupart du temps en ligne, mais c’était très difficile pour moi de poursuivre mon intégration à la société québécoise, raconte-t-il.
Ahmed, qui n'avait aucune notion de français avant son arrivée, échange maintenant aisément dans cette langue, mais il n'a pas réussi à se trouver un emploi. Cet informaticien veut aider les nouveaux arrivants, mais il espère aussi que le projet Hommes-Relais lui permettra d'améliorer son sort.
Et c'est aussi l'objectif de ce stage : aider les participants dans leur propre parcours professionnel, social et familial, explique la directrice générale, Véronica Islas. Ils peuvent être accompagnés personnellement dans leur recherche d’emploi ou de programme d’études. Ils vont aussi recevoir deux diplômes, l'un reconnu par le ministère de l'Éducation et l'autre de notre organisme. Les accompagnements qu'ils vont faire seront reconnus comme un stage en milieu de travail et ils vont obtenir le titre d’agent de liaison communautaire, assure-t-elle.
En ce moment, les hommes-relais se comptent sur les doigts d'une main, mais Mme Islas espère qu'ils vont prendre racine dans le quartier, comme les femmes l'ont fait avant eux. Selon elle, certains hommes se sentent plus à l'aise de demander de l'aide à un homme : Être accompagné par un autre homme qui a vécu les mêmes choses que toi, qui te comprend lorsque tu n'as plus de repères, que ce soit au niveau professionnel mais aussi comme père de famille, ça peut rassurer et aider.
Le consultant et formateur Alain Giroux croit aussi à ce projet qui réunit des hommes. Les hommes ne se confient pas de la même manière. Ça leur prend plus de temps que les femmes. Il ne faut pas les forcer, mais quand c'est parti...c'est parti!