Romain Schué Radio Canada 18 octobre 2022
« [Immigration Canada] reconnaît qu’il y a du racisme au Canada ainsi qu’au sein de sa propre organisation. »
Les mots sont forts et expliqueraient, en partie, le taux important de refus de permis d’étudiants visant des ressortissants africains francophones souhaitant venir au Canada, et particulièrement au Québec.
Cette phrase figure au milieu d’une réponse du gouvernement fédéral, donc du ministre de l’Immigration Sean Fraser, à un rapport publié à la fin du printemps réalisé par le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM).
Ce document de 22 pages a été discrètement mis en ligne à la fin du mois de septembre et n’a fait l’objet d’aucune conférence de presse ni intervention publique du ministre.
Des refus par inadvertance
Ce constat survient après différents reportages, ces derniers mois, révélant des rejets massifs de demandes en provenance de certains pays d’Afrique. Cela a provoqué l’incompréhension et la colère des établissements d’enseignement et des demandeurs concernés.
Pour justifier ces refus, Immigration Canada leur reproche, la plupart du temps, une intention de rester au Canada à l’issue de leur formation. Pourtant, dans le même temps, Ottawa met en place des programmes fédéraux pour prolonger le séjour des étudiants étrangers.
Jusqu’alors, le ministère s’était défendu en affirmant que toutes les demandes sont traitées de manière identique, peu importe le pays d’origine.
Dans sa réponse au CIMM, le ministre Fraser se montre beaucoup plus critique envers le comportement des agents d’immigration de son ministère.
Par inadvertance, il y aurait ainsi des taux de refus plus élevés chez les étudiants africains, souligne Sean Fraser, tout en précisant qu'Immigration Canada lancera une nouvelle étude interne portant sur la « lutte contre le racisme » au « premier semestre de 2023 », avec une « ronde de discussions » menée auprès de ses employés.
Un comité de travail avec Québec en préparation
Ottawa, dans l’ensemble de ce rapport, se dit très ouvert à revoir ses processus et se montre favorable à une série de recommandations proposées par un comité parlementaire. Mais peu de détails sur la réalisation de celles-ci y sont mentionnés.
Le gouvernement, promet Sean Fraser, accepte de revoir le processus de sélection des étudiants étrangers. Ces derniers doivent être évalués en fonction de critères davantage liés à leur potentiel et à leur valeur, ajoute-t-il.
Immigration Canada, dit-il, doit déployer davantage d’efforts pour comprendre les différences entre le taux d’approbation des demandes de permis d’études qu’obtiennent les demandeurs africains et celui qu’obtiennent les demandeurs d’autres régions.
Les étudiants africains qui souhaitent rester vivre ou travailler au Canada après leurs études ne devraient pas être pénalisés, résume le ministre, en reconnaissant qu’il faut clarifier les directives à l’intention des agents.
Le gouvernement Trudeau compte aussi renforcer le dialogue entre le Canada et le Québec.
Un groupe de travail conjoint sur les permis d’études sera formé cet automne avec l’objectif d’aboutir à des mesures concertées.
Là encore, malgré nos relances, Immigration Canada reste flou et n’a fourni aucun plan sur ce sujet. [On est] en train d'élaborer un mandat pour le groupe de travail afin de mieux définir ses objectifs et la fréquence des réunions, indique Isabelle Dubois, porte-parole du ministère.
Cette idée est cependant accueillie favorablement par Québec, qui, tout en garantissant sa pleine collaboration aux travaux, met la pression sur Ottawa.
Le MIFI demeure préoccupé par les taux d’acceptation des demandes de permis d’études des étudiants africains francophones, soutient Émilie Vézina, porte-parole du ministère québécois de l'Immigration.
Plus de transparence avec Chinook
Le logiciel Chinook est utilisé depuis 2018 par les agents d'immigration pour traiter les demandes de permis d'études. Celui-ci est vivement dénoncé par différents experts en raison de son opacité. Immigration Canada « est d'accord avec la nécessité de la transparence », écrit le ministre Fraser. Des « consultations publiques sur les nouvelles technologies » seront menées et une « évaluation » de Chinook sera faite, ajoute-t-il, tout en spécifiant que cet outil ne prend pas « lui-même de décisions ».
Ouverture pour un ombudsman
Sans s’y engager pleinement, Ottawa compte également étudier la faisabilité de créer un bureau d’ombudsman. Une telle instance est réclamée depuis des années, à la fois par des organismes et des élus fédéraux, face à l’afflux de demandes et de problématiques liées à l’immigration.
On est content, très satisfait de voir cette ouverture, souligne Claire Launay, la porte-parole de l'organisme Le Québec, c’est nous aussi, qui milite pour la mise en place d’un bureau indépendant, capable de soulever des enjeux.
Le ministre Fraser promet au préalable un examen approfondi et diverses consultations, avant, éventuellement, de demander les pouvoirs et les ressources appropriés. Aucun échéancier n’est précisé.
C’est dommage de rallonger le processus, déplore néanmoins Claire Launay. Les preuves de l’utilité d’un ombudsman ne sont plus à démontrer.