Bienvenu Senga Radio Canada 31 octobre 2022
Une grande majorité des immigrants francophones noirs vivant à Sudbury perçoivent ou subissent de la discrimination dans plusieurs secteurs d'activité, dont celui de l'emploi. C'est ce que révèle une nouvelle étude du Réseau de soutien à l'immigration francophone du Nord de l'Ontario.
Il y a quatre ans, l’Ivoirienne Anne Félicité N’Goran s’installait à Sudbury.
Aujourd’hui enseignante, elle dirige aussi l’association locale des ressortissants de son pays d’origine, dont le nombre augmente dans la ville du nickel.
Mais il n’est pas toujours facile pour eux de s’y épanouir, remarque-t-elle.
Le gros problème qu’on a, c’est véritablement l’emploi, fait-elle savoir.
Les nouveaux arrivants ivoiriens du Grand Sudbury ont souvent du mal à trouver des emplois permanents, et ce, même après des études en sol canadien, explique Mme N’Goran.
Elle fait le constat notamment dans le domaine de l’enseignement, et dans celui du service à la clientèle.
Ces inquiétudes sont relayées par bien des immigrants francophones noirs du Grand Sudbury.
Dans une récente étude menée sur 173 d’entre eux venant de 17 pays, le Réseau de soutien à l’immigration francophone du Nord de l’Ontario révèle que 80 % perçoivent de la discrimination à divers degrés, tandis que 57 % disent l'avoir subie.
Dans le secteur de l'emploi spécifiquement, ce sont plus des deux tiers (68 %) qui disent percevoir de la discrimination, et plus de la moitié (58 %) qui rapportent l'avoir vécue.
Oui, il y a un écart entre le perçu et le vécu, mais [...] l’étude a montré qu’il y a de la discrimination à Sudbury, explique l’agente de développement socio-économique au Réseau, Inès Bouguerra, qui a pris part à la conception de l’étude, première du genre à Sudbury.
L’exercice s’imposait, ajoute-t-elle, étant donné que le Grand Sudbury a obtenu en 2019 la désignation de communauté francophone accueillante qui vise à faire de la ville une collectivité intégratrice des nouveaux arrivants d’expression française, et cela au-delà de leur appartenance ethnique.
Toute forme d’exclusion, de restriction, de préférence fondée sur des caractéristiques personnelles ou sur l’appartenance à un groupe ethnique, ça va à l’encontre du projet de communautés francophones accueillantes, souligne Mme Bouguerra.
Malheureusement, c’est un gros et triste constat de savoir que la discrimination fait encore partie de nos habitudes, de tout ce que nous vivons encore au jour le jour, note Anne Félicité N’Goran, pour qui l’étude vient confirmer ce qu'elle constate parmi des membres de l’association qu’elle dirige.
Ces résultats, ça choque, estime le coordonnateur des services en immigration au Centre de santé communautaire du Grand Sudbury, Moïse Zahoui.
L'étude ne semble pas révéler de corrélation directe entre la discrimination et le niveau de maîtrise des deux langues officielles du Canada.
Faible sentiment d’inclusion pour les nouveaux arrivants
Les lacunes des services d’accompagnement des immigrants s’illustrent entre autres par les données de l’étude portant sur le sentiment d’inclusion dans la communauté francophone locale des immigrants francophones noirs, croit M. Zahoui.
Le rapport indique que 73 % des nouveaux arrivants qui ont participé à l’étude et qui vivaient à Sudbury depuis moins d'un an se sentaient inclus dans la communauté francophone locale.
Ce nombre baissait pour les nouveaux arrivants dont la durée de résidence était d’un à cinq ans (environ 55 %), et poursuivait encore sa chute pour ceux ayant vécu à Sudbury de six à 10 ans (un peu moins de 50 %).
Ce sont là des données qui devraient permettre d’entamer des discussions avec des bailleurs de fonds pour les convaincre de poursuivre le financement des services d’accompagnement des immigrants bien après qu’ils aient leur pied à terre, car c’est là qu’ils se rendent compte qu’il y a des blocages, avance M. Zahoui.
Nous avons des services qui répondent aux nouveaux arrivants et quand on parle de nouveaux arrivants […] ce sont des personnes qui sont là depuis cinq ans ou moins. [...] Après, les services qu’on offre ne sont pas disponibles pour eux parce que plusieurs vont devenir des citoyens ou ils sont restés trop longtemps et ne se qualifient plus pour ces services-là, explique-t-il.
L’étude démontre tout de même que le sentiment d’inclusion à la communauté francophone locale s’intensifie pour les immigrants ayant vécu à Sudbury depuis plus de 10 ans.
De nombreux participants à l'étude déplorent également la déqualification professionnelle qu'ils subissent en arrivant à Sudbury, se trouvant incapables de faire valoir les compétences qu'ils ont acquises dans leur pays d'origine.
Ils notent aussi un écart entre le discours politique qui encourage l'immigration des travailleurs qualifiés et la réalité qu'ils vivent après leur arrivée.
Renforcer économiquement les communautés ethnoculturelles
Le président de l’Association des Haïtiens du Grand Sudbury, Roby Joseph, plaide quant à lui pour un meilleur soutien aux communautés ethnoculturelles comme la sienne.
La discrimination a des conséquences graves pour la population, pour la ville, la province et même le pays, affirme-t-il, ajoutant que des fois, ce n’est pas de la méchanceté, mais juste une question d’habitude.
En matière d'embauche, illustre-t-il, une personne va employer qui lui convient mieux pour faire son travail.
Il dit d’ailleurs essayer de créer cet exemple. Sept ans après être arrivé à Sudbury, il a ouvert un restaurant qui sert des mets haïtiens.
Au-delà de faire découvrir la gastronomie de son pays d’origine, son objectif est aussi d'appuyer financièrement ces jeunes-là [d’origine étrangère] qui viennent étudier et qui ont besoin de quelques heures d’emploi et d’un peu d’argent.
Les résultats de l’étude seront présentés et discutés dans le cadre d’un forum communautaire qui se tiendra le 8 novembre à Sudbury et où les participants seront appelés à formuler des recommandations à mettre en œuvre.
Le Réseau de soutien à l'immigration francophone du Nord de l'Ontario prévoit par ailleurs mener des études similaires dans les régions de Nipissing et d'Algoma, indique Inès Bouguerra.