ARIANE KROL LA PRESSE 19 decembre 2022
Le secteur manufacturier, l’agroalimentaire et l’agriculture risquent de présenter davantage de lésions, ainsi que le domaine de la santé et des services sociaux.
Jusqu’à 80 % des travailleurs montréalais envoyés en réadaptation pour cause de lésion professionnelle seraient des immigrants, estime une étude exploratoire de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
L’origine des travailleurs admis en réadaptation à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle n’est pas consignée dans les données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Les chercheurs de l’Institut ont donc employé une approche qualitative, en interrogeant une vingtaine de conseillers en réadaptation de la CNESST.
« Ils nous disaient : « Selon moi, si je me fie à mes dossiers, c’est à peu près 80 %. » D’autres vont dire 60 %, 70 % », relate le chercheur principal de l’étude, Daniel Côté.
Selon le plus récent recensement, mené en 2021, les personnes nées à l’extérieur du Canada, donc immigrantes, représentent 24,3 % de la population montréalaise.
Si les estimations [des conseillers en réadaptation de la CNESST] sont justes, entre 60 % et 80 %, ça montre qu’il y a une surreprésentation. C’est quand même beaucoup.
Daniel Côté, chercheur principal de l’étude
L’IRSST travaille maintenant à quantifier le phénomène, en combinant des données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) et de la CNESST. « En combinant certaines données, on arrive à savoir qui, parmi les personnes indemnisées, sont des immigrants. »
Les premiers résultats seront présentés en juin prochain, lors du congrès international IDIVOSH 2023.
« Ça va nous permettre de faire un portrait plus précis de ces personnes-là : des secteurs où elles travaillent, des types de lésions dont elles sont victimes, de la durée de l’incapacité, des coûts associés à ça. »
Le forum IDIVOSH 2023, organisé à Montréal par l’IRSST, portera sur l’immigration, la diversité de la main-d’œuvre, la précarité et les situations de vulnérabilité en santé et sécurité du travail (SST).
Difficile et précaire
Le secteur manufacturier, l’agroalimentaire et l’agriculture risquent de présenter davantage de lésions, ainsi que le domaine de la santé et des services sociaux, dont font partie les préposés aux bénéficiaires. Les emplois dans ces secteurs sont « physiquement difficiles et souvent précaires » pour « n’importe quel travailleur », reconnaît M. Côté. Toutefois, comme on y retrouve beaucoup d’immigrants, « on peut faire l’hypothèse que c’est pour cela qu’ils se blessent plus souvent que les autres travailleurs nés au Québec ».
En documentant la situation, les chercheurs espèrent susciter des changements de politiques, afin que ces travailleurs vulnérables soient à la fois informés de leurs droits et formés pour prévenir les risques liés à leurs tâches.
- Côté cite « l’affaire Paredes », du nom de famille du premier des 11 travailleurs guatémaltèques mentionné dans une poursuite contre le propriétaire d’une agence de placement.
L’entrepreneur en question a été condamné par le Tribunal administratif du travail pour abus et mauvais traitements. Il s’agissait d’infractions aux normes du travail, mais « si l’employeur a une politique de prévention déficiente ou minimaliste, est-ce qu’il va prendre la peine de s’assurer que tous les travailleurs ont bien compris les consignes, qu’elles ont été traduites, que les informations leur sont accessibles ? », illustre le chercheur.
Derrière notre « manger local »
La barrière de la langue et l’isolement des travailleurs immigrants, ainsi que leur tolérance au risque par peur des représailles ou par besoin d’argent, peuvent aussi retarder la consultation d’un médecin.
« Il faut vraiment soutenir ces travailleurs. Et dans les régions, il faut aussi soutenir les organismes communautaires et les milieux locaux pour les accueillir plus dignement », plaide M. Côté.
Les chercheurs espèrent que leurs travaux contribueront à sensibiliser la population.
Oui, on mange local, mais derrière notre « manger local », il y a des conditions de travail qui sont difficiles. Oui, on encourage nos producteurs locaux, mais faisons aussi pression sur eux pour qu’ils traitent leurs travailleurs de manière humaine.
Daniel Côté
Les chercheurs veulent aussi interroger une trentaine de travailleurs immigrants ayant subi une lésion professionnelle sur leur parcours de vie, depuis le moment où ils ont décidé d’immigrer jusqu’à leur réadaptation au travail. Le projet recrute encore des participants.